Yujiro a grandit dans un camp d’hybrides. Il n’y connaissait que très peu de personnes, car l’objectif premier n’était pas de faire socialiser les hybrides entre eux, mais bien de les dresser. Le garçon n’avait jusqu’alors que peu (ou très peu) de problèmes, car se plier à des ordres faisait parti de son quotidien. Il faisait le vide dans sa tête, essayant de réfléchir le moins possible à ce qui lui était demandé, conscient qu’il n’y avait souvent aucune logique derrière la parole humaine.Il n’avait aucun jugement. Il se contentait d’exécuter ce qu’on attendait de lui.

Mais comme les humains prennent plaisir à pousser les limites de l’inacceptable, certains devenaient mauvais. L’idée d’être le maître ultime aux yeux d’un hybride dévoué leur montait à la tête. Yujiro se souvient notamment d’un homme qui, incapable de tolérer la maladresse d’une neko sous sa charge, commençait à la battre.

Le spectacle en amusa plusieurs, mais révulsa Yujiro jusque dans ses tripes. Il délaissa ce qu’il faisait pour aller s’interposer entre la neko et son agresseur d’une bien grossière façon. Il retourna ses coups à l’homme qui s’en prit plusieurs, sous l’effet de la surprise.

Yujiro n’était pourtant pas bien brave, ni violent. Il était dur de son corps pour ne pas chercher à se défendre lui-même, mais la faiblesse de cette neko était la sienne désormais. D’ailleurs, c’est sans doute la vision de son corps avachi par terre qui lui donnait la force de cogner.

Suite à cet épisode, Yujiro ne fut jamais puni. Ceux qui étaient prêts à se jeter sur lui pour l’arrêter furent interrompus par un client. Ce dernier avait fort apprécié la manière dont le jeune hybride avait rendu K.O son adversaire. Il l’acheta, lui et la neko qu’il avait sauvé.

L’homme en question était, semble-t-il, un type influent dans le milieu du marché noir. En revanche, ce qu’il y faisait n’intéressait pas l’hybride –encore trop heureux de cette intervention pour chercher à comprendre la nature de son achat-.

Un peu plus tard, Yujiro avait été ‘’engagé’’ pour compter parmi les gardes-du-corps de cet homme. Tout ce qu’il devait faire, c’était d’empêcher qu’un mal quelconque n’arrive à son nouveau maître. Maître qu’il lui coûtait de protéger avec tout ce qu’il devait avoir détruit. De plus, Yujiro n’avait pas cette motivation qui l’avait poussé à secourir la jeune neko…

Les jours passèrent tandis que l’hybride était de plus en plus inquiet des méfaits passés de son maître. À chaque coin de rue, peut importe l’endroit, des hybrides sauvages et des gens furieux tentaient de s’en prendre à lui. Dieu que cet homme était haï et méprisé…

À l’inverse, le jeune hybride avait quelques instants à lui. Il passait le plus clair de son temps en compagnie de Sana, la jeune neko qui lui vouait un certain respect depuis leur rencontre. Dans le temps de le dire, ils étaient devenus amis et sans doute plus encore. Yujiro veillait sur elle de l’extérieur, et elle l’empêchait de devenir fou à force de protéger un être infâme.

Les jours passaient sous cette routine. L’hybride suivait son maître où qu’il aille, lui servait de bouclier vivant, mais retrouvait le doux réconfort de Sana lorsqu’il rentrait.

Yujiro parvint finalement à gagner la confiance de son maître. Ce dernier sortait parfois en ne comptant que sur sa seule protection et lui donna la possibilité de poser trois questions par jour. Pas une de plus.

Le garçon n’abusa pas de ce droit (préférant ne pas savoir).

Plus tard encore, Sana était introuvable. Yujiro passa une journée entière à la chercher et à l’appeler. Il dû s’arrêter une fois le soir venu, puisque son maître avait une sortie. Ils partirent tous les deux.

Dieu qu’il était inquiet. Même s’il était dans un bar avec son maître, que tout le monde était saoul et s’agitait, il pensait. Il aurait voulu devoir chercher plus profondément, mais l’évidence était devenue un fait; son maître était capable des pires abominations par amour du profit. Aucun doute qu’il était arrivé quelque chose à Sana…

Au sortir du bar, Yujiro soutenait son maître, complètement bourré, qui menaçait de s’écrouler. Ils décidèrent de s’installer dans le parc voisin. Loin des regards.

- J’ai trois questions, monsieur.

L’homme était d’excellente humeur et puait l’alcool. Aussi lui fit-il signe de continuer.

- Pourquoi avoir acheté Sana en même temps que moi? Sa gorge se noua. Que lui avez-vous fait? Où est-elle en ce moment?

Un long silence suivit. Yujiro fixait son maître qui, visiblement, était trop saoul pour peser ses paroles et considérer leur impact.

- J’avais ta confiance en l’achetant, crétin. J’me suis amusé avec elle cette nuit… Un sourire horrible barrait ses lèvres, accentuant le sous-entendu. Et puis j’ignore où elle est. Cette hybride ne me servait plus à rien, donc elle a été vendue au premier venu.

Sentiment indescriptible. Yujiro sentait désespoir et fureur le gagner. L’envie de se laisser mourir en même temps que l’envie de vivre pour se venger. Contradiction se mêlant à l’évidence; il n’avait pas réussi à sauver Sana une seconde fois.

- Tu aurais dû la laisser crever quand t’en a eu l’occasion, continua-t-il sur sa lancée. Maintenant, tant qu’à mourir, elle n’aura souffert que plus longtemps!

La logique aurait voulu que Yujiro se jette dents et crocs dehors pour refaire le visage de ce type. Il aurait été de mise qu’il réagisse, qu’importe si c’était par tristesse ou par haine. Mais il ne bougeait pas. Déconnecté de la réalité avec pour ultime souvenir le visage souriant de son amie.

Soudain, des ombres se détachèrent du paysage. Un groupe d’hybrides sauvages approchait, armes en mains. À leur vue, l’homme oscilla pour se lever et interpella Yujiro, toujours immobile sur le banc.

- Mais bouge-toi! Ils veulent s’en prendre à moi bordel!

Ces paroles étaient du vent. Pourtant, l’hybride trouva la force –ou l’inconscience- de réagir; il se leva et entreprit de suivre son maître, le regard livide. Puis, tandis que les hybrides révoltés pressaient le pas, Yujiro interrompit son maître et, d’un simple geste, le poussa dans le lot de furieux qui se l’arrachèrent.

L’hybride aux cheveux blonds resta-là, à regarder le massacre sans vraiment intervenir. La fureur de ces hybrides était la sienne, après tout. Mais il était trop  démolit pour s’en mêler. Trop fragile pour porter le moindre coup.

Puis le jour vint, ainsi que tous les autres. Yujiro resta marqué par cette nuit lugubre. Il erre désormais dans la ville et ne traîne jamais loin des animaleries. Guettant l’occasion de peut-être revoir un visage familier…

Un être issu du croisement de différentes espèces créé par l'homme et ''voué'' à servir son maître...